jeudi 6 novembre 2014




Maman gare la voiture devant la maison, ça fait un bruit de gravier. On sort les sacs, ma valise. A l'intérieur de la maison, tout semble noir. Il n'est que 21 heures. J'ouvre la porte qui grince un peu. Il fait presque aussi froid à l'intérieur que dehors. Je m'arrête un instant, pose ma valise. Mes pas me dirigent tout droit vers sa chambre. La porte est fermée, j'hésite. Puis j'ouvre. Il regarde la télé, encore. De nouveau, je m'arrête. Je prends une respiration. Il ne s'est pas retourné quand je suis entrée. Je lui dis bonjour malgré tout, d'où je suis. Il arrête son film, se retourne, et d'une voix rouillée me répond. Il a tellement vieilli. Son regard est hagard, ses lèvres presque blanches, ses yeux rougis et la peau grise. Il se lève, comme un petit vieux, quasiment plié en deux, et ses pas, de même s'entrechoquent sur le sol. ça a l'air lourd. Je m'avance vers lui. En même temps nous nous demandons si ça va. A chaque fois, je me sens idiote, c'est comme parler dans le vide. Je prends une nouvelle respiration. "Demain, il faut que tu te laves, tu vas chez le coiffeur, avant ton rendez vous chez le docteur". "D'accord", me répond-il avec une voix pâteuse. Puis il se rassoit, lentement. "Bonne nuit." Je sors et je vacille, un peu.
Le lendemain, lorsqu'il s'assoit dans la voiture, je me demande depuis quand ce n'est pas arrivé que nous soyons tous les deux, comme ça. Peut-être deux ans et demi, depuis que ça s'est passé. Déjà à l'époque, je sentais la gêne. J'avais déjà envie de le secouer et de lui demander comme il avait pu me laisser porter ça. Je démarre et le silence s'installe. Ce n'est plus comme avant, que je chérissais ce silence entre nous. Là, j'aimerais qu'il dise n'importe quoi. Mais son regard reste suspendu dans le vide, au delà de la route. Entre les deux vallées, qui ont enfin roussi, le gris de la route s'étale comme un tapis rouge.
Nous rentrons ensemble chez le coiffeur. Je me demande ce que ça fait à ces gens de s'occuper de quelqu'un comme lui. J'imagine qu'il y a un petit peu de social dans ce métier là. Je suis assise derrière lui, mes yeux visent le miroir, son regard à lui est encore ailleurs. La coiffeuse ne sait pas qui regarder, moi ou lui. Quand elle veut savoir quelque chose, le shampoing, la coupe, la longueur, elle se tourne vers moi. Puis moi vers lui. Ses yeux vacillent, clignent un peu. Il fait des gestes flous, mais saccadés. Quinze minutes plus tard nous sortons, il s'installe dans la voiture, toujours sans aucun mot. Mais il y a quelque chose qui est différent. Son corps est-il moins courbé vers l'intérieur ? Il boucle sa ceinture, je sens son visage se tourner vers moi.
En rentrant à la maison, il retourne s'enfermer dans sa chambre.
Je me couche le soir, comme souvent, j'ai du mal à respirer dans cette maison. Aujourd'hui, il y a quelque chose en plus. ça bouillonne, près à exploser. Mardi, je me suis promise que je l'accompagnerai chez son médecin.
Quand ce jour arrive, je me sens trembler dès le matin. J'ai la trouille, comme on dit. L'entrée dans le hall d'hôpital me ramène combien d'années en avant ? Trois ans. Trois ans que Tata Ginette a pris ses cliques et ses claques. ça fait tellement de temps que j'entends parler de ce médecin, dévastateur selon moi. Pourtant quand il entre dans la salle d'attente, je trouve qu'il ne ressemble à rien. Il est sans âge et moi je suis comme invisible. Il ne voit que lui, à mes côtés, il le dévore presque des yeux, comme une mante religieuse prête à bouffer sa proie. Lui, semble se recroqueviller un peu plus. Le docteur nous fait entrer et lui demande comment ça va depuis la dernière fois. Comment ça va. Il pourrait lui répondre que ça ne va pas. Mais non, il fait comme avec tout le monde. ça va. Bon, dit le médecin, en traînant le mot en longueur, telle une corde qu'on serre un peu plus. Ce dernier me jette des coups d’œil, ma présence le dérange. Je lui adresse un grand sourire. Comment se déroule vos journées ? Je n'écoute pas la réponse. J'entends les voix en sourdine. Celle du docteur mielleuse, hypocrite. La sienne, éraillée, presque fausse. Mes oreilles se réveillent. Je laisse tomber ma main sur le bureau, le médecin sursaute. Lui se redresse légèrement. Je n'avais pas vraiment voulu cette réaction. Mais tant que je suis là. Maintenant que je suis là. Vous pouvez m'expliquer c'est quoi ce bordel ? Oh non ne me regardez pas avec ces yeux écarquillés ! c'est ça que vous faites avec lui toutes les semaines, depuis quoi, 20 ans ? Vous lui demandez comment se passent ses journées ? Mais venez à la maison, voir comment il occupe ses journées ! Et les nôtres, celle de ma mère par la même occasion ! ça fait presque trois qu'il coule à pic et vous vous lui demandez comment ça va ? Mais vous êtes un psychopathe ! Vous devez vous délecter de tout ce mal être ! Là ça suffit, ça suffit !!!
Il est scotché à son siège, son regard me traitant de folle, alors que je viens de le traiter de psychopathe. Je me tourne vers lui, qui a son visage tendu vers moi, ses yeux sont enfin éclairés. Je sors, il me suit. Pardon, pardon, je lui dis, pardon d'avoir réagit comme ça, mais c'était trop. Merci, il me répond.


Je peux rêver. Je peux inventer. C'est la seule chose que je peux m'offrir quand je pense à lui, à ce qu'on endure, à ce qui pourrit depuis trois ans. Un matin je me suis dit, je vais faire ça, je vais m'occuper de lui. Je vais aller voir son enfoiré de psy, je vais taper du poing sur la table. J'ai rêvé. Loin de lui, je peux tout imaginer, le meilleur, le mieux, du moins, puisqu'on est arrivé tellement bas, à présent. Puis quand je rentre dans cette maison, je sens la porte fermée, je ne peux même pas l'ouvrir. Etre à ses côtés me tétanise, moi qui me suis sentie si complice avec lui pendant tant d'années, qui me suis enveloppée de son amour. Et penser à ce qu'il a été et ce qu'il est aujourd'hui efface tout espoir. Je suis capable de parler de tout, sauf de lui. Comment va-t-il, me demande-t-on. Rien que la question me met hors de moi. Ce n'est pas une personne qui a continué de vivre, qui a rebondi, qui se tire vers le haut. Il n'ira plus. J'ai le vertige. Derrière la nuque, je sens que cette constatation - il n'ira plus - c'est comme une balle, là. ça achève.

Je peux rêver. Je peux tout inventer.

dimanche 26 octobre 2014


 


 
 
Les bébés vont s'enchaîner cette année. Le premier est né. Un dimanche d'octobre, alors que je courais dans le Jura. J'observais les arbres, pas assez roux à mon goût, et constatant cette année  encore que l'automne tardait de plus en plus à s'installer. Je parle à ma mère, elle qui pédale, moi qui cours, c'est comme si la relation changeait, mère-fille, fille-mère, je me sens protectrice, je nous sens accompagnantes l'une de l'autre. A chaque fois que je reviens dans cette maison, je peine à me dire que ma vie est à Paris. L'odeur de la maison, toujours, les bras de ma mère et toute son enveloppance, mes frères et leurs humeurs, les petits pas rouillés de mon père, trop silencieux, les chats, les jardins et les voisins, le bois rangé, les légumes cueillis, les plats plein d'amour de ma mère, le sourire de ma mère, l'accueil de ma mère dès le petit déjeuner. Ma mère. Ma maman. Ma maman-folie. A chaque fois, je me dis, je vais y revenir. La vie serait aussi -plus ?- douce ici.

A Paris la vie est tumultueuse, le travail à la crèche est éreintant, les gens sont épuisants, beaucoup plus que les enfants, quoi qu'on en dise. A chaque fois que le travail me pose question, c'est toujours, inévitablement en relation avec un adulte, une professionnelle, un parent, l'équipe. Alors il me suffit de m’asseoir avec un enfant, ou deux ou trois, ou six. Rien ne me vient plus facilement que d'être avec eux, de repérer ce qu'ils montrent. Une histoire à écouter, à inventer ensemble, une matière à explorer, un jeu à reproduire, encore, encore, encore, qu'ils répètent, avec leurs rires et sourires qui s'échappent si naturellement. Et puis je ne suis que réceptacle, des mots des parents, de la visible confiance de leurs enfants, des liens qui se forment presque invisibles mais tellement tangibles. Je suis lieuse, comme si j'avais des fils au bout des doigts, des bras et du cœur. Je ressens tous ces bébés, ces enfants, que l'on m'offre presque, plus qu'on ne me les confie. Je ne suis pas une ogresse qui mange les enfants, j'espère être une ogresse qui nourrit  ces enfants. J'écris ces mots, et ça déborde, les larmes. Qu'est ce que j'ai fait pour mériter ça ? On me dit merci. Moi aussi, je dis merci.

Après le 12 octobre 2014, trois jours plus tard, je reçois, encore, un autre dépôt d'amour-confiance. Il est tel, que de nouveau, je fonds. Quelle chance. Quelle force cela me donne. Avec cette maman toute neuve qui m'offre d'être à ses côtés, à leurs côtés, j'échange, tous les jours. Comme un  de ces nombreux fils qui s'épaissit. Parfois je doute d'être suffisamment, d'être comme il faut. Je doute aussi parce qu'il devient éprouvant pour moi de n'être pas plus qu'une amie-éducatrice-bienveillante. Parfois j'aimerais ne plus avoir tous ces boutons qui s'allument et clignotent telles des alertes professionnelles et empathiques. Pourrais je n'être qu'émotions et réactions sans questions ? Certainement que non. Je suis un tout.

Et parce que le bonheur n'est pas qu'auprès des enfants, il y a aussi tous ces autres fils, entre sœurs, entre amies, entre amies-sœurs. C'est drôle comme ces deux liens se confondent. Comme des amies finissent par devenir des sœurs, même aux yeux des autres. De ces liens aussi, alors que je réceptionne et renvoie des messages, je me sens puissante et comblée. Que dire de ces moments où tout n'est que bras ouverts et accueillants ?

J'ai imprimé des photos, je trie. Parfois le cœur tombe en observant ce qui a passé. Je me demande, cette photo, je l'avais prise avant ou après. J'ai imprimé des photos prises par les fenêtres. Je les ai collées d'un côté et de l'autre de la fenêtre de tous les jours. Un côté Jura. Un côté Paris. Comme pour me montrer les directions. Et parce que je n'ai pas qu'un phare pour me guider.

jeudi 7 août 2014



Il y a des tumultes qu'on attend pas vraiment, qui fracassent sans qu'on s'en aperçoive vraiment. Comme si, finalement, ça ne nous appartenait pas, cette histoire. En fait, on hésite surtout à lui laisser de la place, lui permettre d'imprimer des traces désagréables. On hésite, puis le choix se fait tout seul, ces jours seront comme les mois précédents, harmonieux, nous sommes d'accord. Parfois, dans nos regards qui se posent l'un dans l'autre, est ce de la peur, le doute, ou la reconnaissance, celle qui dit, oui, c'est toi, je te reconnais bien. Et puis, alors la nuit s'achève, c'était un mauvais rêve.

Les enfants, les tout-petits, les bientôt nés se sont suivis cet été, celle de Marseille, qui m'effraie par ce milieu dans lequel elle grandit. Les jours grand soleil, les sourires partout, à s'en demander si ce sont des vrais, le grandiose, celui qui ne nous appartient pas, à l'intérieur duquel on refuse presque à se laisser aller. A la fin de ces jours, une conviction, une certitude, celle d'être arrivée au bout de cette aventure, de ne plus avoir de regrets et de n'avoir plus rien à investir, plus d'émotions, plus d'inquiétudes. Malgré tout, la nuit, les cauchemars parlent souvent d'elle, en surface, au moins.
Le bien cocooné, dans cette ville où le soleil aussi sera présent. Avant de la retrouver, je me demande comment sera son bidon. Je la rejoins, toute pareille à elle-même, et je me dis que ça y est, elle a vraiment l'air d'une femme qui porte un bébé. C'est quelque chose, les grandes amies qui deviennent mamans. Mais avec elle, c'est simple comme bonjour, simple comme notre rencontre et notre amitié, ça ne me laisse pas sur le bas côté, il n'y a pas de clan qui se forme, celui des mères et celui des sans enfants. Dans ces deux jours où je ne me lasse pas d'être à leurs côtés, elle et lui qui cuisinent de concert encore et encore, alors que le frigo débordait déjà quand je suis arrivée, on s'amuse à s'imaginer à 60 ans, toutes les deux, boitant et faisant notre monde, comme à nos 27 ans.
A Paris, quatre jours avant la fermeture de la crèche, il y a le temps pour les expériences inavouées, celles qu'on n'autorise pas d'habitude, celles qui devraient bien avoir leur place dans le quotidien. Moins d'enfants, plus de proximité, et j'accuse le coup de cette relation avec un enfant. Je répète "je n'ai jamais accroché avec lui", comme pour m'excuser de cette patience qui devient fragile à ses côtés. Qu'est ce que je n'ai pas accroché ? Je me persuade que ça ne passe pas avec tous les enfants, que j'ai des collègues pour prendre le relais, mais je ne reconnais pas et ça me fait violence.
Et puis enfin, mes deux petits du Jura, l'attente pour les voir, finalement leur sourire et celui de leur mère. Le plus grand qui n'en finit pas de me dire son amour et ses bras autour de moi, son regard levé vers le mien et sa fierté de tout me montrer. Plus tard, quand je reçois un message de sa mère sur cet amour titanesque et dont je ne me lasse d'être surprise et que encore plus tard, je la rejoins et qu'elle m'explique une nouvelle fois, je sens son émotion qui palpite, alors que je vois son profil mi-ombre, mi-lumière, je la revois fermer le four, ranger la cuisine, elle ne me regarde pas, mais je sais, à ce moment là, la signification de ce tourbillon.

Première semaine d'août, il n'y a plus d'enfants. Juste nous deux, le soleil dès le petit déjeuner sur la terrasse, la plage avec les galets et la peur latente quand je ne l'aperçois plus dans les vagues, toujours les "qu'est ce qu'on fait", auquel je réponds sans ciller que nous sommes en vacances, l'envie de bouger après les journées qui pourraient ressembler à des longues et douces siestes, la lenteur, rire de ce qu'il est, de cet être hors normes, hors du monde et des autres, l'agacement furtif et piquant, et le soulagement de la sérénité le plus souvent retrouvée, rire de ce qu'on est.

vendredi 20 juin 2014

A croire que tout se relie à ça, en ce moment, l'enfance, la superbe. Mon enfance, la notre, et celles que je tiens entre mes mains, mes bras chaque jour. Et puis celle, hypothétique, rêvée, utopique oui, mais redoutée en même temps.

Dans la salle d'attente, cette maman qui me confie son bébé, le temps de deux minutes. Je suis un peu abasourdie, elle ne me connait pas, je tiens sa toute petite fille dans mes bras, elle sourit dans son sommeil. Quand sa mère revient, elle me demande et vous, vous êtes enceinte de combien ? ah non moi je ne suis pas du tout enceinte. J'ai à peine été blessée par ses mots, elle balbutie, j'ajoute, mais je suis éducatrice de jeunes enfants, je travaille dans une crèche. Avant que la porte en face ne s'ouvre, la mère m'offre un soulagé ah oui c'est ça que j'ai du ressentir. Quand la porte en face, se referme derrière moi, avec la douce femme, je suis inquiète, je ne comprends pas. Avant même d'avoir émis le vrai désir de cet accueil, je fais face au constat ambiant. Celui que nous connaissons toutes, par une amie, une sœur, une collègue, ou par soi-même.

Dans ma vie depuis un an et presque trois quart, une petite princesse aux cheveux noirs et bouclés, aux yeux si durs et si doux à la fois. Elle vient d'un monde qui ne me ressemble pas, qui m’écœure et m'étouffe. Mais cette petite princesse, à chaque fois qu'elle glisse sa main dans la mienne, en traversant la rue, ou juste pour se raccrocher à moi, produit un miracle. Soudainement, je suis vraiment présente, je suis moi, je suis
Ce sont les enfants des autres dont je m'occupe, et ça m'agite.  Quand on prend le temps de l'écouter, l'enfance est violente. Violente d'incompréhensions et de frustration, violente d'amour et de sérénité. L'enfance enveloppe et recueille. Combien sont-ils à passer à côté ? Plusieurs fois dans la semaine, je berce ces tout-petits, je les endors, et alors qu'ils se tordaient de colère, bientôt, dans mes bras, c'est l'apaisement. ça ne marche pas à tous les coups, parce que c'est comme ça. Plusieurs fois aussi, je calme les pleurs, je tends les bras ou offre mes genoux, je rassure les parents, et essaie de faire passer le message que leurs enfants, chaque enfant est merveilleux. Parce que c'est la vérité. Je fais un travail méconnu, incompris, fatigant et épuisant, autant physiquement que moralement. Mais jamais quand je ferme la porte de la crèche, je ne me dis ouf c'est terminé.


dimanche 20 avril 2014






Les dates ne signifient pas la même chose pour tout le monde. Pour certaines personnes, elles ne signifient même rien du tout. D'autres s'y accrochent, comme des petits repères, qui pourraient rassurer.
Vers 17h, ce jour, cette date, après la sortie d'école, la récolte au marché aux fleurs, je suis au parc de la grande dame parisienne, avec la petite fille. La lumière est très blanche, sans doute à cause du sable, qui fait remonter la poussière. Cette lumière m'aveugle presque, elle me torture, comme un flash de vérité, qui fait vaciller. Deux ans auparavant, ce jour, cette date, approximativement cette même heure, c'était le même sentiment de basculement, le déchirement, l'impossibilité d'y faire face physiquement. L'implacable immobilité.
Ce matin là, en me réveillant, je ne me suis pas rappelée. J'allais au travail, le cœur déjà là bas. La journée devrait être un peu longue, mais après, ça irait. Puis l'arrêt à la boulangerie, la dame qui m'a vendu un pain au sucre, étant en larmes. Les émotions des autres, si rarement visibles, ne font que s'entrechoquer avec les nôtres, alors.
Le temps s'étire en ce moment, il est doux, même si, au fond, il ne faudrait pas trop gratter. Rester un peu lisse et joyeuse. Quand j'ai retrouvé ma mère, les jours qui ont suivi, elle m'a dit plusieurs fois, mais je t'énerve. J'ai répondu, une fois, tu crois que je fais comment sans toi, quand tu n'es pas là. En me sentant mortifiée tout de suite, en me disant, comment j'ai pu dire ça à une mère, à ma maman. La vérité est que si ma mère pouvait être là tous les jours, je me sentirais peut-être plus complète, mais est ce que les grands enfants sont faits pour vivre avec leurs parents ? Et leur maison, qui aurait pu m’agresser, ou n'être que douleur, après tout ça, est en fait le contraire. Le mercredi soir, nous arrivons, je monte les marches biscornues, de bois ou de pierre, un peu des deux. L'odeur de cette période, le renouveau, est particulière. L'humidité de l'hiver est en train de remonter par les basses profondeurs de la maison. Mais elle s'ouvre à l'extérieur et l'odeur qui aurait pu être écoeurante, est enveloppante. Cette odeur peut-être, aussi, d'ancienne ferme, mais surtout d'ancien nid de cinq petits enfants, de ce tumulte qui paraît si calme aujourd'hui, malgré la multiplicité à chaque coin et recoins des pièces. Et tant d'autres sonorités odorantes : le parfum de ma mère, toujours fleuri, les draps propres de ma chambre, la poussière un peu partout, dont on n'arrivera jamais à se débarrasser, les deux jardins qui se verdoient, devant-derrière la maison, ou en haut-en bas, on ne sait pas. Le dimanche, elle habillée de pois en pois et moi de bleu en bleu, je l'aide, si peu, à réveiller le jardin. Puis le macvin, avec le voisin, le chat qui miaule, ma mère qui remplit ma petite valise, de lilas, de terre d'ici, de son amour, oui oui. Paris me semble alors une obligation plus qu'un choix. Mais je sais que demain Paris sera chez moi.
En partant, le lundi, au petit matin, je dis à maman, on en bien profité, hein ? Elle me répond plus loin, qu'elle, le cafard, elle ne connait plus.

jeudi 17 avril 2014



Un vrai vendredi soir, sans réunion, ni enfants à border. La lumière est comme un spot, vive à cet endroit, puis sombre autour. Les murs blancs, blancs. Le canapé pourrait ressembler à un vide sans fond, alors qu'il est enveloppant au possible. Ses grandes jambes, à lui, son immensité si présente. Sa « rassurance » qu'il a appris à mes côtés. Les coussins mous, sans forme, comme une petite mer(e) en vaguelettes rares mais qui me retiennent de perdre pied. Il me demande, ma journée. Ma journée ? Je suis lasse. Égoïstement ou pas paresse, je ne raconte pas, je raconte peu. Trop peu. Ma journée est derrière.
La phrase refrain – qu'est ce qu'on fait-, ou -tu fais quelque chose avec moi- a fait plus que me pendre au nez. Je ne réalise que bien après, ce cœur d'enfant qui vit à mes côtés. Mais je ne sais que trop dédaigneusement jeter mes belles théories enfantines quand je suis face à lui. Il abandonne, comme souvent, me laisse à mes occupations.
J'ai pris d'assaut le canapé à l'envers, les jambes vers le ciel, un livre qui ne me tombe pas des mains. Ce n'est pas vraiment la fatigue, mais le silence. Le silence confortable, je ferme les yeux. La télé pour une fois ne braille pas les infos. J'entends ses gestes, sans rapidité. Les carottes qui se coupent, l'eau qui bout, le couvercle doucement posé ou retiré. Danserait-il avec la cuisine, discrètement ? Cela donne cette impression, comme une valse cachée. Après les cliquetis, rien. Le silence oppressant. J'ouvre les yeux, au dessus de moi, malicieusement, me regarde un géant.

mercredi 5 mars 2014



J'ai de la chance, je crois. Moi qui ne voulais pas d'un travail qui m'ennuierait, qui me lasserait par un rythme constant, qui finirait par me perdre, je suis servie par deux mi-temps qui me font faire les montagnes russes. Depuis le commencement de 2014, la crèche et la petite fille, c'était kifkif, je ne pouvais pas lâcher les reines. Alors, les fin de semaines arrivaient, bien vite, sans que j'ai à les attendre.
Aujourd'hui en regardant les albums photos de famille, je me suis vue plusieurs fois, âgée de deux ans et quelques poussières, "changer" les couches de mon petit frère. Et puis les années passant, la fratie, tour à tour née, se nichant dans mes bras. L'idée m'est venue que mon métier n'était vraiment pas un hasard. Comme si accueillir tous ces petits enfants, les envelopper, leur sourire, les consoler, les faire rire, leur expliquer, leur autoriser, les cadrer, les coucher, les porter (encore et encore), les ouvrir au monde, les accompagner, leur prendre la main, les changer, leur donner à manger, comme si tout ça et bien d'autres, je l'avais appris depuis vingt cinq ans, l'âge de mon premier frère. Combien y en a-t-il eu et combien y aura-t-il... j'ai l'enfance dans mes bras et le coeur à m'y sentir comme chez moi. Pas invitée, chez moi. Ça me surprend encore, cet épanouissement dans mon travail.
Le rythme s'est ralenti ces deux dernières semaines. J'ai pu poser un autre regard, prenant une autre posture, celle que m'a expliqué l'analyste des rêves, le psychanalyste jungien, celle que j'ai tant de mal à adopter, parce que m'a t-il dit, cette part a fait défaut pendant votre enfance. La part paternelle donc, celle de la loi et des limites. Celle qui me fait pleurer à chaque fois qu'il faudrait que je m'arme d'elle.  Mais nous faisons connaissance, elle et moi depuis quelques temps. C'est le travail, encore qui m'a permis de le réaliser. Et quelle surprise de le faire sans trembler. D'avoir pu dire stop ou mettons tout à plat. Et aussi dire sans le dire, je suis là pour vous apprendre, oui j'ai vingt de moins que vous, mais mon métier je l'ai dans la peau, je sais ce que je fais et je sais ce que je veux voir et ne pas voir pour être auprès des enfants. Parce que c'est ça, aussi, gérer une équipe. 
Après les montagnes hautes, est venu un temps plus calme, moins de travail, moins d'enfants. Alors c'est aussi le temps de remplir une petite valise et de retrouver les racines, les indispensables, ceux qui me sont inséparables. Le Jura est déjà vert même s'il est toujours froid. Je cherche des photos d'enfants qui lisent pour le travail, les bras chargés d'albums de famille, je monte dans ma chambre de fille de. Je tourne les pages, qui collent un peu. Je nous regarde, ces vies d'enfance pleine de grâce, l'émulsion attachante nous reliant, la beauté vivante de mon père me frappe, me déchire un peu plus que je ne suis déjà morcelée sur ce terrain, ma mère, l'ingrédient de base, l'obligée, perpétuellement accordée en résonance au train que nous lui menions. Ma mère, cette majestueuse, à qui je montre en souriant une photo où nous étions quatre à cet époque. La vision de l'enfant blond blond blond, plus blond que sa peau l'été, en couche, lui est peut-être devenue insupportable. Que sais-je. Ce numéro quatre qui nous a imposé la suppression du nombre cinq. Même si cinq moins un ça fera toujours cinq.
La pénombre tombe, j'ai rangé les albums, je sors les poubelles ou vais chercher le linge qui n'aura pas séché, l'odeur de la terre humide, l'herbe et le béton mélangés, un goût de poussière acre, auquel je rajoute nos sueurs juvéniles, me ramènent encore plus vite que les photos à ces heures turbulentes. Ça aurait été un dimanche soir, maman aurait été en train de faire les crêpes, et nous aurions joué jusqu'à n'en plus voir nos pieds ou presque, oui nous n'aurions pas aperçu la nuit tomber. Collés serrés percutés frôlés liés pour l'immensité, nous serions rentrés, crottés d'une journée à imaginer et refaire notre monde dans les champs, nos jardins, les rivières et chemins, la bouse de vache et le foin rassurant. La grâce, notre grâce inconsciente.

lundi 10 février 2014





Dimanche, j'avais promis de me prélasser. Pré-lasser. Synonyme : s'abandonner. Alors quand mes yeux se sont ouverts une première fois à 8h30, j'ai dit non, aujourd'hui je m'abandonne. Il fallait compenser les trop longues journées de la semaine, avec quatre fois journées commençant à 6 heures et se terminant à minuit, voir l'heure d'après.
La deuxième fois, il était 10h30. Il me tournait le dos et un rayon de soleil caressait sa nuque et je me suis abandonnée à laisser courir ma main et à m'amuser des tout petits poils blonds qui y brillaient. Seconde promesse, celle d'un dimanche pancakes. Depuis un brunch que nous avions fait tous les deux il y a quelques années, nos pancakes sont fourrés. Jambon, fromage, chocolat, tout ce qu'on trouve dans nos placards qui ferait goût. Cuits dans la pâte. Je crois que j'ai été un peu longue, car il scandait ah ça se rapproche comme un enfant qui y croit tellement que ça ne pourra être autrement. Même si le docteur avait prescris de manger sans télé, j'ai dit c'est dimanche, tant pis. Alors on a regardé Les Coquillettes avec nos pancakes. J'ai trouvé les filles des Coquillettes vraiment greluches et c'est un peu accompagné de nos soupirs que le film s'est terminé. J'ai pensé parfois les films d'auteur, zut, ça casse.
Après ça, je n'ai plus réussi à m'abandonner. Le souvenir de la semaine passée, avec un agacement croissant de ne rien avoir le temps de faire, m'a rattrapé. Alors, profondément, la satisfaction d'avoir une certaine complaisance à se mettre à la tâche. Faire une chasse aux stagiaires, chercher un idée pour faire un tableau magnétique, essayer de comprendre certaines obligations administratives, prévoir des formations pour l'équipe. Malgré tout, le regret de ne pas avoir cet espace réellement pensé dans mon temps de travail. Enfin, j'en suis encore au début, la lassitude est loin d'être là. Mes préoccupations se trouvent plutôt du côté des filles de mon équipe. Et cette semaine, entendre plusieurs fois, en gros je ne fais que de la merde, m'a fait effet coup de poing. Car la colère, quand quelque chose paraît déplacé, n'est jamais loin. Oui bizarrement, c'est la colère qui me porte dans ma prise de position. Je ne veux pas, je ne supporte pas qu'on dise à une enfant de 18 mois tu n'es pas gentille. On me dit que mon hypersensibilité me dessert autant qu'elle perd les autres. Oui tant de fois, c'est vrai. Mais pour les enfants, j'espère qu'elle ne me quittera jamais.
Dimanche, le lit est resté ouvert toute la journée,tel un radeau, il a accueilli nos pancakes, nos cafés, nos thés, notre jeu de société, la soupe mais elle est bonne ma soupe dis donc, ah mais oui elle est super bonne ta soupe, et puis le soir venu, mes questionnements perpétuels sur mon travail.
Lundi, 6 heures, un thé, un cake petit suisse-sirop d'érable-noisettes-noix-amandes-raisins, j'ai pris le chemin de la crèche, et même avec le RER B capricieux, j'ai eu l'impression heureuse, salvatrice et puissante d'aller retrouver les miens. Yi. Haaa. Yihaaa !

vendredi 7 février 2014



Des mois que j'hésite, regarde avec, parfois, une pointe d'envie, les petits chez soi des autres. Avant l'ouverture de celui ci, j'ai tenté deux autres aventures. Une s'est terminée avec une légère pointe d'amertume, mais c'est le passé. Le deuxième a, un jour, arrêté de m’intéresser. Peut-être aussi, parce que grâce à ce blog, j'ai rencontré la vie. Je sortais d'une belle chute, ou plutôt, miséricorde, j'étais en plein dedans. Et j'ai rencontré cet amour de jeune femme. ça a été l'évidence suprême. Comme deux pièces de puzzle qui s'emboitaient. On s'est rencontrées toutes les deux un samedi matin de décembre 2012, il faisait un peu froid, on avait communément un peu la trouille au ventre. Et puis ça a glissé. Les mots, les rires, les sourires, les regards, tout glissait, comme si c'était normal. La connivence. Parce qu'aujourd'hui, finalement, on se dit que rien n'était plus normal que notre rencontre. On se dit, heureusement. Voilà, c'était un peu grâce à mon blog, et je me disais que c'était tellement fort, que tout le reste le serait forcément moins. Quand on goûte au luxe...
Mais je lis toujours, régulièrement, une poignée - ou deux - de blogs, et cela fait presque partie de mon quotidien. Au petit déjeuner, dans le métro, en attendant quelqu'un, pour m'endormir. Malgré tout, sans blog personnel, bizarrement, je n'ose laisser trace de mon passage... ça et puis cette envie presque redondante, il faut le dire, d'écrire un semblant de ce qui se passe dans mon chez moi-tête.
Alors, me voilà.