mercredi 5 mars 2014



J'ai de la chance, je crois. Moi qui ne voulais pas d'un travail qui m'ennuierait, qui me lasserait par un rythme constant, qui finirait par me perdre, je suis servie par deux mi-temps qui me font faire les montagnes russes. Depuis le commencement de 2014, la crèche et la petite fille, c'était kifkif, je ne pouvais pas lâcher les reines. Alors, les fin de semaines arrivaient, bien vite, sans que j'ai à les attendre.
Aujourd'hui en regardant les albums photos de famille, je me suis vue plusieurs fois, âgée de deux ans et quelques poussières, "changer" les couches de mon petit frère. Et puis les années passant, la fratie, tour à tour née, se nichant dans mes bras. L'idée m'est venue que mon métier n'était vraiment pas un hasard. Comme si accueillir tous ces petits enfants, les envelopper, leur sourire, les consoler, les faire rire, leur expliquer, leur autoriser, les cadrer, les coucher, les porter (encore et encore), les ouvrir au monde, les accompagner, leur prendre la main, les changer, leur donner à manger, comme si tout ça et bien d'autres, je l'avais appris depuis vingt cinq ans, l'âge de mon premier frère. Combien y en a-t-il eu et combien y aura-t-il... j'ai l'enfance dans mes bras et le coeur à m'y sentir comme chez moi. Pas invitée, chez moi. Ça me surprend encore, cet épanouissement dans mon travail.
Le rythme s'est ralenti ces deux dernières semaines. J'ai pu poser un autre regard, prenant une autre posture, celle que m'a expliqué l'analyste des rêves, le psychanalyste jungien, celle que j'ai tant de mal à adopter, parce que m'a t-il dit, cette part a fait défaut pendant votre enfance. La part paternelle donc, celle de la loi et des limites. Celle qui me fait pleurer à chaque fois qu'il faudrait que je m'arme d'elle.  Mais nous faisons connaissance, elle et moi depuis quelques temps. C'est le travail, encore qui m'a permis de le réaliser. Et quelle surprise de le faire sans trembler. D'avoir pu dire stop ou mettons tout à plat. Et aussi dire sans le dire, je suis là pour vous apprendre, oui j'ai vingt de moins que vous, mais mon métier je l'ai dans la peau, je sais ce que je fais et je sais ce que je veux voir et ne pas voir pour être auprès des enfants. Parce que c'est ça, aussi, gérer une équipe. 
Après les montagnes hautes, est venu un temps plus calme, moins de travail, moins d'enfants. Alors c'est aussi le temps de remplir une petite valise et de retrouver les racines, les indispensables, ceux qui me sont inséparables. Le Jura est déjà vert même s'il est toujours froid. Je cherche des photos d'enfants qui lisent pour le travail, les bras chargés d'albums de famille, je monte dans ma chambre de fille de. Je tourne les pages, qui collent un peu. Je nous regarde, ces vies d'enfance pleine de grâce, l'émulsion attachante nous reliant, la beauté vivante de mon père me frappe, me déchire un peu plus que je ne suis déjà morcelée sur ce terrain, ma mère, l'ingrédient de base, l'obligée, perpétuellement accordée en résonance au train que nous lui menions. Ma mère, cette majestueuse, à qui je montre en souriant une photo où nous étions quatre à cet époque. La vision de l'enfant blond blond blond, plus blond que sa peau l'été, en couche, lui est peut-être devenue insupportable. Que sais-je. Ce numéro quatre qui nous a imposé la suppression du nombre cinq. Même si cinq moins un ça fera toujours cinq.
La pénombre tombe, j'ai rangé les albums, je sors les poubelles ou vais chercher le linge qui n'aura pas séché, l'odeur de la terre humide, l'herbe et le béton mélangés, un goût de poussière acre, auquel je rajoute nos sueurs juvéniles, me ramènent encore plus vite que les photos à ces heures turbulentes. Ça aurait été un dimanche soir, maman aurait été en train de faire les crêpes, et nous aurions joué jusqu'à n'en plus voir nos pieds ou presque, oui nous n'aurions pas aperçu la nuit tomber. Collés serrés percutés frôlés liés pour l'immensité, nous serions rentrés, crottés d'une journée à imaginer et refaire notre monde dans les champs, nos jardins, les rivières et chemins, la bouse de vache et le foin rassurant. La grâce, notre grâce inconsciente.

1 commentaire:

  1. Ils sont beaux tes mots... merci pour ton com' chez moi... j'aime la manière dont tu parles de ton travail, aussi...

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